Cette enquete est issue du numero 231 de Trax Magazine, toujours accessible en kiosques et sur le store Sur les forums.
C’est une autre epoque. Celle des soirees sans fin et des nuits trop courtes. Celle des retours au petit matin, bras dessus, bras dessous, apres avoir danse toute la nuit au milieu une foule. Celle que l’on resume desormais avec nostalgie par l’appellation de « envie d’une application de rencontre catholique monde d’avant », comme si ces moments de joie ainsi que fete avaient a jamais disparu. Ce jour-la, nous sommes le 11 aout 2019, a une periode de l’annee ou la capitale se vide generalement de ses habitants. Apres trois nuits de fete endiablee a la Station – Gare des Mines, le festival Qui Embrouille Qui cloture son edition 2019 dans un baroud d’honneur sur la piste de Dehors Brut, avec une serie de DJ sets intenses par Soul Edifice, Yasmeen, Diggin Speakrine, AZF et beaucoup d’autres. Sur le dancefloor, l’ambiance reste bouillante et un tantinet partout, on peut apercevoir des danseurs·euses portant fierement des T-shirts trempes de sueur, sigles du logo du collectif parisien. Derriere les platines, bon nombre de artistes ont accepte de jouer Afin de des cachets derisoires, car ce soir, c’est ici qu’il faut etre.
En deux annees, Qui Embrouille Qui a reussi a s’installer dans le paysage en nuit hexagonale tel votre collectif essentiel et capable de faire bouger les lignes, rassembler les chapelles d’une musique electronique et d’imposer une esthetique nouvelle a la fete. Cree par AZF et Pasteur Charles en 2017, a une epoque ou l’homogeneite house/techno etait bien la norme au sein des soirees de la capitale, Qui Embrouille qui possi?de su federer en melangeant sans aucune retenue le DIY du punk, le discours abrasif du rap francais et les rythmiques musclees d’une techno. Une esthetique tranchante et d’autant plus marquee qu’elle reste enrobee via une imagerie batailleuse, tirant ses references au hooliganisme ou dans les images des black blocs, regulierement montres du doigt avec des medias de l’epoque a cause de leurs actions coup de poing lors des manifestations contre la loi Travail.
« A Paris, la musique electronique a trop un certain temps rime avec fame. J’en ai fera part au debut, avec les fi?tes au Social Club et tout ca, et j’ai compris que ca ne me ressemblait jamais. Ton Instagram compte plus que le disque que tu vas jouer ? Serrer les bonnes mains compte plus que le set que tu vas faire ? On ne vient aucune la », annoncait AZF, en guise de manifeste dans les pages de Trax au mois de mars 2018. J’ai DJ faisait alors la couverture et le collectif avait bien d’un superbe doigt d’honneur adresse a toutes les instances un brin trop ronronnantes d’une nuit parisienne. L’underground francais avait deniche ses nouveaux porte-drapeaux et partout en France, on revait de pouvoir un jour participer a toutes les soirees furieuses du crew le plus cool de l’instant.
Couverture de Trax en mars 2018
Tempete i propos des reseaux sociaux
Un tantinet plus de huit mois apres le troisieme et dernier festival Qui Embrouille Qui, les choses etaient pourtant fort diverses. Le club Dehors Brut, ou se tenait la soiree de cloture, a decide de fermer boutique tandis qu’en parallele, sous l’effet d’une pandemie de Covid-19, l’integralite des discotheques francaises lui emboitait le jamais pour une duree malheureusement forcement indeterminee. Dans ce contexte sinistre, juste apres un premier confinement qui semblait avoir laisse aux uns et aux autres le temps de reflechir, le collectif Qui Embrouille Qui publiait un long communique, le 18 mai 2020 sur le compte Facebook : « C’est apres une longue periode de reflexion que nous vous adressons ce message, car votre transparence reste plus que pas necessaire afin d’effectuer evoluer la situation dans les milieux. Nous decidons de rompre le silence sur des themes consequents, et esperons de tout c?ur que cette prise de parole en invitera d’autres. La peur et la honte doivent changer de camp. Notre collectif fut ebranle, ils font deux mois, en apprenant qu’un de les membres, Puzupuzu, avait commis des actes graves incluant diverses victimes. Il fut condamne par la justice en premiere instance. Cet episode nous a tou.te.s bouleverse.e.s : nous avons realise a quel point ces violences etaient presentes au coeur meme de les communautes, jusqu’au c?ur de notre propre collectif, et votre, malgre les valeurs qui l’animent avec forcement. Nous avons debattu un certain temps sur la maniere de traiter ces renseignements. Les victimes demandant a ne pas etre exposees, nous l’avons silencieusement fera disparaitre de les canaux de communication, comme l’ont fait tous les autres acteurs de une scene. Nous sommes des premiers coupables de cette spirale du silence qui a dure bon nombre trop un moment. »
Dans votre meme message, le collectif annoncait se separer de deux autres de ses membres nommement cites dans le communique, Security DJ et Pasteur Charles, « dont l’attitude et nos agissements seront alles a l’encontre de notre ethique egalement ». De quoi declencher une tornade i propos des reseaux sociaux ou des reactions ont fuse. Si de nombreux fans du collectif saluaient la demarche consistant a briser l’omerta dans ces questions, d’autres soulignaient aussi, plus discretement, les malaises qu’ils·elles eprouvaient a l’idee de voir le crew Qui Embrouille Qui endosser, sans meme se concerter au milieu des victimes, le role de pourfendeur des violences sexistes et sexuelles, aussi meme qu’il en a aussi ete le theatre. En parallele, certains des accuses redigeaient des justifications quelquefois un tantinet floues concernant le grand public, tandis qu’AZF, connue pour ses prises a partie souvent virulentes i propos des reseaux sociaux, restait etonnement silencieuse malgre son statut de fondatrice du collectif. Aujourd’hui, en repensant a tout ca, Camelia, ancienne charge de communication du collectif, regrette en partie votre post dont celle-ci reste l’une des autrices, avec AZF et Pasteur Charles lui-meme : « Si ce communique etait a refaire, je le ferais en general tres differemment. Je n’avais jamais conscience de tous les points. »